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Le Petit Bazar de Betsileo
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21 février 2009

LANDLORD # 59

orloge

VITE !!!!!!! C'EST L'HEURE DE MON FEUILLETON !!!!!!!
LORDLAND_INTRO
59 L’impair.

Sur la terrasse, l’air marin lui fit du bien, la brume empêchait de voir la mer et
le monde semblait assez informe, miroir parfait de son paysage mental ce matin-là. Il
descendit les escaliers luisants vers les terrasses inférieures d’où il espérait pouvoir
repérer la roseraie, et avec un peu de chance, le Badroul Boudour. Un bouquet de ces
roses lui paraissait le meilleur atout à jouer avec Betty Burke, sans doute le seul. Il
suivit une allée gravillonnée qui serpentait entre les arbustes, les bosquets et les haies.
Il se perdit très rapidement. Il retourna vers la masse du château, mais obligé de
suivre des chemins de traverse, il ne réussit qu’à s’en éloigner.
Un battement d’ailes lui fit lever la tête, un pigeon voletait juste au-dessus de
lui. Il agita la main pour le chasser, mais l’oiseau s’agrippa à son index et se laissa
secouer en roucoulant jusqu’à ce que Thomas aperçoive un petit cylindre accroché à
la patte. Il était en train de recevoir son premier coup de pigeon. Il décrocha le
message et le déroula tandis que, posé à terre, le messager ailé le regardait avec
insistance, le jabot gonflé. Il déchiffra l’écriture de baldred :
“ Allo, patron ? C’est moi ! Essai communication : 1,2,3. 1,2,3. Ba, be, bi, bo, bu.
Les sanglots longs des violons... Vive la suisse libre ! Ca marche ?”
Le pigeon lui picorait le bout des chaussures. Il l’écarta du bout du pied et
poursuivit sa recherche. L’oiseau courut en se dandinant et lui barra la route en
faisant une succession de courbettes et en roucoulant plus fort.
Thomas l’évita et marcha plus vite. Un battement d’ailes, il n’eut
que le temps de baisser la tête lorsque le pigeon l’attaqua en piqué.

— Il ne vous laissera pas sans avoir de message, ô Seigneur fortuné, MacMillan les
dresse à perfection, voulez-vous de quoi écrire ?
Proposa Nasdine Bahar surgissant au détour d’un buisson.
Le volatile se calma en voyant le crayon et vint se percher sur son épaule où il
se contenta d’entre en transes en gonflant ses plumes. Thomas griffonna au dos du
message :
“Ca marche, mais le pigeon est dingue. Trouvez-moi une voiture pas trop
orgueilleuse pour notre rendez-vous. Merci.”
Il fixa le petit tube à la patte de l’oiseau qui gloussa d’extase et,
libéré, exécuta une voltige compliquée pour prendre de
l’altitude et se diriger vers une tour maigre et solitaire accolée au château.

— C’est un vrai labyrinthe, je crains de m’être perdu dans votre jardin, Monsieur
Bahar.

— Vous étiez sans doute perdu bien avant, Seigneur plein de gloire. Il s’agit bien d’un
labyrinthe, soyez donc sans crainte, d’ici vous sortirez.

Thomas toussota un peu bêtement, il ne savait pas ce qui l’impressionnait le
plus chez son jardinier, ses profonds yeux noirs, ou ses paroles qui semblaient contenir
beaucoup plus de sens que de mots.

— Ah. Je cherchais ce rosier, je voudrais un bouquet, c’est...

— Vous cherchez, vous voulez, mais vous ne trouvez pas.

— C’est à peu près ça, la floraison est terminée ?

—La floraison est perpétuelle, ce rosier est notre aboutissement.

— Je vois, vous êtes plusieurs ?

— Je suis le dernier, mais non le seul.

Thomas, reste d’une douloureuse et navrante éducation chez les pères, avait
une très faible tolérance aux paroles hermétiques, aux sentences énigmatiques, aux
devinettes métaphysiques. Une bouffée de colère lui monta à la gorge et il chercha
comment il pourrait caser le mot con dans une réplique, plutôt courte, un octosyllabe
en forme de proverbe, à la fois léger et percutant. Il ne trouva qu’un alexandrin :
“Des cons, tu es bien le dernier, mais pas le seul.”
Mais Bahar lui fit signe de le suivre et Thomas se souvint qu’il avait besoin
des talents de son jardinier sentencieux.

— Ainsi sont les maillons de notre chaîne, nombreux, ainsi est le dernier, seul, mais
soutenu par tous les autres. Trois labyrinthes seulement furent inventés. La voie
unique, que l’on doit suivre longuement pour toucher au but. Elle multiplie les
détours, éloigne quand on croit atteindre le centre, désespère quand on le frôle enfin.
Ce labyrinthe est le symbole de l’apprentissage, de la quête mystique, de l’humilité du
disciple, de la richesse du temps. Il se déploie presque à l’infini, mais dans un espace
clos, microcosme et macrocosme réunis. Il conduit inéluctablement au terme.
Ils parvinrent à un embranchement. Bahar lui montra deux chemins, dessina
du bout du pied une croix sur le sol et s’engagea à gauche.

— Puis vient la voie double, où l’on peut se perdre. C’est le chemin de l’illusion, de
l’hésitation, du choix, de l’homme. De celui-ci, on ne sort pas toujours, non point
qu’on puisse se perdre, les deux directions se valent, mais on peut ne jamais
commencer.
Avec un début d’inquiétude, Thomas découvrit à l’embranchement suivant la
même croix sur le sol. Sans marquer de pause, Bahar prit à droite.

— Il est révéré des simples d’esprits et des classificateurs, par les époques inquiètes et
les hommes trop sûrs d’eux. Il est admiré par ceux qui explorent, qui cherchent et
aussi par ceux qui trahissent. C’est la voie du Diable, des amants, des mains qu’on ne
peut délier, celle des justes et des martyrs. C’est la voie humble, la voie commune,
notre voie.
Ils débouchèrent à nouveau au carrefour marqué d’une croix. Bahar s’arrêta,
et, s’inclinant légèrement, fit signe à Thomas de passer devant lui. Il obéit en haussant
les épaules. S’il croyait l’impressionner avec son symbolisme à deux balles. Il prit à
gauche, derrière lui, la voix du jardinier continua :

— Il est enfin rapporté, ô Maître miséricordieux, que le dernier labyrinthe est la voie
multiple, il est construit pour se perdre, c’est celui qui fascine les peuples perdus. Il
oppose l’absurde aux mystères des deux autres voies. Les anciens lui voyaient un
centre sombre, la tanière d’un monstre, la digestion et le démembrement des
initiations chamaniques ; un voyage dans la folie, une dissolution jusqu’à l’extase, se
perdre pour se trouver. On en reconstruit aujourd’hui en miroir pour griser les foules
et les cogner à leur propre reflet. Seuls les Francs-jardiniers surent en garder le plan et
l’usage.
Thomas déboucha sur le même carrefour. Furieux, il se retourna. Il allait
protester quand la voix douce lui ordonna de fermer les yeux. Sans savoir pourquoi, il
obéit.

— Ce dernier labyrinthe est aussi celui du jeu, de la science, de l’agencement, du
réseau, du partage, de la tolérance, de l’art, de la correspondance des sens. Vous
cherchez une rose avec les yeux ?

Thomas soupira, impatient de la fin de cette mascarade. Puis les mots de Bahar
furent rattrapés par leur signification. Il prit une courte inspiration et leva le nez en
l’air, humant maintenant à petits coups. C’était là, sur la droite. Le parfum
incomparable de la Badroul Boudour. Il ouvrit les yeux pour se découvrir seul. Le
chemin olfactif, un peu brouillé au début, se fit plus clair. Sans se soucier des allées, il
avança et déboucha dans une petite clairière ouverte en demi-cercle sur la mer. Le
rosier était là. Sur une petite table de fer forgé, il trouva un sécateur et de quoi
confectionner un bouquet. Sur une branche à hauteur des yeux, une étiquette
conseillait : “ Et pour cela préfère l'Impair
Plus vague et plus soluble dans l'air “

LA_SUITE

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Commentaires
D
Très bon le "coup de pigeon"! :-)
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